Pour me contacter :

any.allard@club-internet.fr

dimanche 3 mars 2024

Derrière les murs, l’Histoire : Le Centre culturel Léopold Sedar Senghor, La seule ferme de Port-en-Bessin :

 

Fermez les yeux et prenez place dans la machine à remonter le temps, vous n’êtes plus dans le Centre culturel, vous êtes au XVIIIème siècle dans la plus grande exploitation agricole de Port-en-Bessin, la seule d’ailleurs : « la ferme de Port » appelée aussi « le manoir seigneurial » car l’ensemble appartient aux évêques de Bayeux, seigneurs du lieu depuis Guillaume le Conquérant.

 

Les bâtiments se situaient alors en dehors du bourg, les marins s’étant installés au plus près de la côte, laissant les terres agricoles de la ferme s’étendre le long de ce qui sera plus tard la rue de Bayeux (rue du Dr Camille Huet) construite en 1768.

 

Auparavant, lorsqu’on arrivait à Port en venant de Bayeux, on empruntait ce qui est aujourd’hui le chemin de la Maladrerie, qui était alors la route de Bayeux à Port. Cette route traversait, à la sortie d’Escures, les bâtiments isolés d’une léproserie dont la présence est attestée dès le XIIème siècle, d’où son nom.

 

La route passait ensuite entre l’ancienne église St André située à l’entrée du cimetière et l’ensemble formé par le manoir et la ferme comme on peut le voir sur le plan dessiné par Nicolas Antoine en 1761. (La ferme est en B). 

 

 

 

 

 

 

Grâce à Paul Signac nous pouvons visualiser l’endroit un siècle plus tard, lorsqu’il dessine l’église St André en 1882. Le pignon au premier plan est le bâtiment Est de la ferme. Il sert aujourd’hui d’atelier à l’association « La Jolie Brise » pour la rénovation des anciennes barques de pêche.

 

 Le dessin lavé de Nicolas Antoine permet de voir que l’entrée dans la cour de la ferme se faisait par une porte chartrière en face de l’église, encore visible aujourd’hui, quoique murée.

 

          

 Avant la Révolution, comme dans toute société villageoise d’Ancien régime, les fermiers de l'évêque sont les seuls du village à avoir une certaine aisance. Ils exploitent une vaste superficie de terres prises en location sans aucune commune mesure avec les quelques arpents cultivés par les marins pour assurer leur subsistance.

 

Leur but est la rentabilité maximum. Ce sont des entrepreneurs prêts à partir ailleurs si tel est leur intérêt. Ils ne sont pas attachés aux villages où ils sont installés.

 

En 1789, le manoir et la ferme sont tenus par Jean Costil, puis après la mort de ce dernier en janvier 1793, par sa veuve, Magdelaine Le Moisy, (ou le Noircy selon les actes) et Olivier Costil, son fils, né le 6 août 1760.

 

Les parrain et marraine d’Olivier peuvent apporter la preuve du désir des fermiers de s’élever dans la hiérarchie sociale.

 

En effet le parrain, Olivier Hébert, est un noble, écuyer, né à St Martin de Blagny, diocèse de Bayeux où habitait sa mère Marguerite de Godefroy qui a épousé René Hébert, lui-même écuyer, sieur de Saint Clair seigneur de Huppain à la fin du XVIIème siècle. La marraine est son épouse, Noble dame Jeanne Françoise Du Praël.

Les Hébert de Saint Clair étaient en effet seigneur de Huppain qu’ils tenaient en fief des évêques de Bayeux. Guillaume Hébert, écuyer, est enterré dans le chœur de l’église de Huppain le 5 mars 1715.

 

Lorsque l’Assemblée constituante décide de mettre en vente les biens du clergé en décembre 1789, Jean Costil achète la ferme des évêques et toutes les terres et dépendances qu’il louait auparavant. Notable bien établi, il est élu maire pour sept mois jusqu’à la chute de la Monarchie le 10 aout 1792 qui va provoquer de nouvelles élections.

 

Preuve encore de l’aisance des fermiers, c’est la veuve Costil et son fils qui doivent donner la plus grande part des réquisitions pour nourrir les volontaires nationaux casernés à Port pendant la Révolution, ou pour donner du blé à ceux qui n’ont rien pour subsister, ce qu’ils refusent répondant « hautement » à la municipalité que, s’ils s’exécutent, ils n’auront plus de quoi planter l’année suivante.

 

Si les fermiers méprisent les habitants du village, ces derniers leur rendent bien la pareille : les fermiers sont des paysans tandis que le matelot reste un homme de la mer.

 

Pierre Gouhier notait en 1962 ce mépris du marin envers le paysan précisé dans l'enquête de l'an XII : « des habitants de Port-en-Bessin se sont absolument refusés à être réunis à l'une des communes environnantes , en prétextant que « la commune de Port est un bourg composé de presque tous matelots pêcheurs, dont le caractère, l'intérêt et les occupations de leur état sont incompatibles avec les communes voisines » ; l'heure même des offices de leur église n'est pas toujours celle des autres communes : la mer et le mauvais temps commandent aux matelots . Le halage et le sauvetage des bateaux de Port ne se fait que par des cabestans, ce qui exige presque tous les bras des habitants et souvent à des heures imprévues par le changement des vents, ce qui dérange souvent l'heure des offices qu'on est obligé d'avancer ou retarder suivant aussi les marées ».

 

1826 : installation du presbytère

 

Dès le Moyen Age, l’Évêque, le chapitre de Bayeux et les chanoines de Port possédaient de nombreux bâtiments dans la commune dont une maison rue Nationale qui servait de presbytère et où logeait le curé. Il était, certes, éloigné de son église qui se situait comme nous l’avons vu, dans le cimetière, mais il ne pouvait pas loger plus près puisque, en dehors de la ferme, il n’y avait que des champs autour.

 

Cette maison était construite en face de la ferme du seigneur d’Argouges, à côté de la propriété noble des du Long Pray : c’est aujourd’hui le bar « Au loup bar » ! Les murs demeurent : leur destination change…

 


Pendant la Révolution, le presbytère est mis en vente comme bien national du clergé et comme le curé Postel y habite, il souscrit pour son achat et remporte les enchères à la bougie. Pas besoin de déménager, ce presbytère, où il était logé depuis son arrivée comme curé à Port devient sa propriété en germinal an V (1797).

A sa mort en décembre 1806, la famille hérite de la maison et la vend à la famille Nicolle du Long Pray à qui appartient la grande maison et le parc à côté.

 

La commune doit donc trouver un nouveau local pour loger le curé, mais la commune n’est pas riche et ne peut pas acheter une maison pour le desservant de l’église.

Le conseil municipal décide donc de louer un local pour servir de presbytère et le propriétaire de la ferme de Port accepte de donner en location une partie de ses bâtiments.

 

Alors, en 1826 le presbytère est installé dans l’ancienne ferme qui appartenait aux évêques

Le futur centre culturel abrite donc pendant presque 150 ans le presbytère.

 

Ce n’est qu’en 1961 que le presbytère est installé à son adresse actuelle, 41 rue de Bayeux.

 

Depuis la fin de la guerre, les terres agricoles ont cédé la place aux maisons d’habitation et la création d’un ministère de la Culture et de la communication en 1959 encourage la création des Maisons de la culture.

 

Les bâtiments de la ferme de Port sont rénovés et réhabilités pour devenir Centre culturel inauguré le 9 novembre 1991 en présence de Léopold Sedar Senghor, écrivain et Académicien français, ancien Président du Sénégal, alors retiré à Verson, près de Caen.

 

Senghor était un farouche défenseur de la culture dont il affirmait que c’était « la civilisation en action ou mieux, l'esprit de la civilisation »

 

Nombreuses sont les fermes du Moyen Age qui ont trouvé aujourd’hui une nouvelle vocation. Certains presbytères sont devenus des bars peut-être aussi !

Alors si les murs avaient de la mémoire, à défaut d’oreilles, que d’histoires ils pourraient nous conter !

 

                                                                                                                                     Any Allard

 

Sources

AD 14 : Registre de délibérations de la commune 1826

AD 14 : Nicolas Antoine, Plan lavé de Port-en-Bessin et de Commes, 1761

Site www.pop.culture.gouv.fr : le manoir de Port-en-Bessin

Archives familiales







samedi 2 septembre 2023

Port-en-Bessin, un décor de roman (suite)

 

Et si nous poursuivions la promenade dans ce Port en Bessin qui a tant inspiré de décors aux romanciers ? Alors, après Balzac, Joret-Desclosières et Flaubert, allons retrouver Zola et découvrir bien d’autres intrigues inspirées par l’ambiance portaise.  

 

1884 : « La Joie de vivre », Émile Zola (1848-1902)

En 1884, sort le roman « La Joie de vivre » d’Émile Zola dont quelques scènes se déroulent sur une plage de Port-en-Bessin. 

Fidèle à la "méthode naturaliste " qui implique visites sur les lieux, enquêtes sur le terrain, Zola décide de donner pour cadre à son roman "La Joie de vivre" la mer de la côte normande où il est venu souvent comme beaucoup de Parisiens de cette fin de XIXème siècle.

« Je prends des notes, à chaque nouvel aspect de la mer, pour un grand épisode descriptif d’une vingtaine de pages que je rêve de glisser dans un de mes romans. »

Il lui a fallu du temps pour commencer à apprécier les paysages marins. Les débuts sont difficiles : « Non, vous ne pouvez rien imaginer de plus laid. Cela est plus plat que le trottoir d’une ville en ruine ; et désert, et gris … » puis la beauté de la mer l’emporte : « La vue est superbe - la mer, toujours la mer ! Il souffle un vent de tempête qui pousse les vagues à quelques mètres de notre porte. Rien de plus grandiose, la nuit surtout. » (Lettres à Mr Roux)

Plus tard, trois ans après la parution de « La Joie de vivre », dans une lettre au critique hollandais Jacob van Santen Kolff, Émile Zola explicite son choix de la côte normande pour situer son roman : « … je n’ai eu qu’à chercher dans ma mémoire, car je connais toute cette côte pour l’avoir parcourue, en plusieurs fois, de 1875 à 1882. Ce doit être en 1882 (il s’agit en fait de 1881) que j’ai vu la petite plage de Vierville en allant de Grandcamp à Port-en-Bessin. » 

"Je suis allé en voiture de village en village, et je puis même vous dire que Bonneville n'est autre que Vierville..., un Vierville arrangé. Le plus souvent, je crée ainsi le hameau dont j'ai besoin, en gardant les villes voisines, telles qu'elles existent. Cela me donne plus de liberté pour mes personnages.

Ainsi, un jour de promenade, Pauline et Lazare découvrent "du côté de Port-en-Bessin, un coin adorable, une petite baie enfoncée entre deux rampes de roches, et toute d'un sable fin et doré. Ils la nommèrent la Baie du Trésor, à cause de son flot solitaire qui semblait rouler des pièces de vingt francs."

« Lazare restait une minute immobile, à regarder un bateau pêcheur de Port en Bessin dont la voile grise rasait l’eau comme l’aile d’une mouette. »

 Il est évident que Bonneville n’est pas Port-en-Bessin puisqu’aux dates où Zola a parcouru la région, le port était depuis longtemps construit. Port ne craignait plus les assauts de la mer tels que décrits dans « La Joie de vivre ». Cependant, certains détails laissent penser que Zola a mêlé plusieurs aspects des paysages parcourus le long de cette côte normande. Comment ne pas penser à Port lorsqu’il décrit la situation géographique de Bonneville : "La route dévalait entre deux falaises, on aurait dit un coup de hache dans le roc, une fente qui avait laissé couler les quelques mètres de terre, où se trouvaient plantées les vingt-cinq à trente masures de Bonneville." ou lorsqu’il signale que "l'église set à un kilomètre de la plage" ?

Ce livre apparaît sur deux toiles de Van Gogh : « Nature morte avec la Bible » 1885, et « Vase avec des lauriers roses » 1888. 

 

                         



 1910: « In and out a French country-house”, Anna Bowman Dodd (1858-1929)

C’est en lisant le premier tome du Pilote de l’Abbé Bernard, que j’ai trouvé le nom d’Anna Bowman Dodd qui, dans son livre « Autour d’un manoir », traduction du titre anglais, qualifie l’abbé Bernard de « ... my friend the curé of Port-en-Bessin ».

En effet, cette Américaine qui passait ses étés au manoir de Vasouy près de Honfleur, appréciait particulièrement la Normandie et notamment Port-en-Bessin : un chapitre du livre est consacré à une Bénédiction de la mer à laquelle elle a assisté et qu’elle qualifie de « wonderful fête ».

 

 1939 : « La Marie du port », Georges Simenon (1903-1989)

 Au mois d’octobre 1937, Georges Simenon s’installe à Port, à l’hôtel de l’Europe, pour un mois.[1] Il va y écrire un nouveau roman « La Marie du port ».

 C’est que Port ouvre sur la mer. Port, c’est un paysage… et des personnages aussi. Le séjour à Port ouvre une nouvelle expérience car le livre auquel il va donner naissance est, cette fois, écrit sur les lieux mêmes de l’action, fait rarissime chez Simenon.

L’histoire de « La Marie du port » est une histoire simple : à la mort de son père, le pêcheur Jules Le Flem, Marie, dix-sept ans, refuse de suivre sa sœur et l’amant de celle-ci, Chatelard, à Cherbourg. Elle souhaite rester à Port et s'engage comme serveuse au Café de la Marine.[2] Simenon situe une partie de l’action dans ce café qui n’est autre, à cette époque, que le café du Grand Quai, aujourd’hui le restaurant rebaptisé « La Marie du port » depuis le tournage du film de Marcel Carné en 1949.

 Les Le Flem habitent au Pollet. Simenon a pu s’y promener avant que les Allemands ne rasent le quartier en 1942. Il nous en fait une description très réaliste : «  Les carrioles aux hautes roues et à la capote brune étaient là, près du pont tournant, car la rue où habitaient les Le Flem était trop étroite et trop en pente.

C’était tout de suite après le pont. Il y avait une dizaine de maisons, les unes au-dessus des autres plutôt que les unes à côté des autres. Les pavés étaient inégaux, un ruisseau d’eau de lessive y courait toujours, des pantalons et des vareuses de marins séchaient d’un bout de l’année à l’autre sur des fils de fer. Au-dessus de la rue, on arrivait hors de la ville, dans les prés à perte de vue, avec la mer à pic à ses pieds. »

Tout le roman est baigné de l’atmosphère d’automne de ce mois d’octobre passé à Port.

« Le voile de pluie s’épaississait, sans qu’il y eût toujours de gouttes visibles. Les falaises des deux côtés du port, étaient de grands murs gris avec, au-dessus, comme une maladie, de la verdure jaunâtre et, très loin, un clocher en pointe. Le vent était tombé. L’air était plat. Et la mer se retirait, à peine ourlée, sombre et glauque. »…

… « Le fond de l’air était plus froid, mais il ne pleuvait pas trop souvent et on venait d’armer des chaloupes au hareng, qu’on pêchait à moins d’un mille des jetées. Cela crée toujours de l’animation, parce que quarante petits bateaux entrent et sortent à chaque marée. Pendant qu’ils pêchent, on les voit là-bas, côte à côte, avec leur voile brune, poussés par une brise, formant un îlot mouvant sur la mer. »

Simenon est un observateur méticuleux. De la fenêtre de sa chambre d’hôtel, face au pont tournant, il laisse glisser son stylo sur la page blanche, et peint, comme l’artiste avec son pinceau, les activités des hommes qui se pressent sous ses yeux.

Dans ce décor, la première place est pour les pêcheurs :

« C’était le mardi et les cinq ou six chalutiers qui pêchent toute la semaine sur la côte anglaise, étaient rentrés le matin. Comme d’habitude ils étaient amarrés dans l’avant-port, près du marché aux poissons, et maintenant seulement, à marée haute, on leur ouvrait le pont tournant. »…

…«On entendait le bruit d’un lourd crochet de fer, le crochet du pont qu’on commençait à manœuvrer. Un petit coup de sirène était parti du fond du bassin, comme un appel de bête dans la nuit. Une masse noire glissait dans le chenal avec un feu vert et un feu rouge qui semblaient frôler les maisons du quai. »…

…« En passant entre les deux murs de pierre le bateau s’était soulevé et maintenant il se soulevait davantage dans le bassin, fonçant dans le chenal où on ne voyait que deux lucioles. Le pont, sans bruit, revenait à sa place. »…

…«  Un chalutier appelait du fond du port, afin qu’on lui ouvrît le pont. C’était la Vierge des Flots qui allait faire la coquille Saint Jacques du côté de Dieppe. »

…« Le calme régnait autour du bassin. Dans les chaloupes, des hommes réparaient les filets et d’autres, sur le quai,… mettaient les chaluts à sécher. »

L’écrivain sait aussi écouter et comprendre les problèmes de la pêche.

 « Des malheurs !... tous ceux qui peuvent arriver à un bateau… le mois dernier, juste deux jours après qu’il avait laissé ses filets crochés au fond de la mer, il a voulu partir, un soir qu’il faisait plus noir que d’habitude… L’homme de barre, qui avait peut être un peu bu a cru que le pont était ouvert et est rentré dedans… Le mât a cassé et un homme a failli être écrasé… Voilà six mois un mousse avait eu la jambe arrachée par un filin d’acier au moment où on virait le chalut.»…

…« A l’entendre ceux qui ne gagnaient rien avec le chalut c’est qu’ils n’y connaissaient rien ou qu’ils étaient fainéants. »

Dans le décor se profile aussi la halle aux poissons : « L’air sentait le poisson, comme toujours à pareille heure (le matin). Il y avait des raies affalées sur le pavé, près de la fontaine, avec des plaies sanguinolentes et une peau blême de cadavre. Les camionnettes (des mareyeurs) étaient rangées les unes derrière les autres jusqu’au bout du quai ; les femmes en sabots portaient les paniers de marées. »



 
Pour donner vie aux personnages, il faut aussi entrer dans les maisons : « Une bûche achevait de brûler dans l’âtre, car il n’y avait jamais eu de poêle. Le grand lit des parents était dans le coin opposé à l’armoire. Sur la table, une lampe à pétrole éclairait des bouts de toile blanche. » Il faut avoir vu une femme « cuire les harengs sur un gril, accroupie devant la cheminée » et tirer « le cidre au tonneau dans la cour. » Il faut avoir entendu les Portais dire « simplement Port, à la façon des gens du pays. » et ignorer ceux qui viennent de l’arrière-pays : « On n’y prêta à peine attention car c’étaient des étrangers, des gens de la campagne. » Il faut aussi, enfin, s’attabler au Café du Grand Quai, appelé dans le roman, Café de la Marine : « On entendait les billes s’entrechoquer sur le billard du Café de la Marine et la lumière jaune du store donnait un avant goût de café arrosé au calvados. »…Des pêcheurs étaient là, trois tables de pêcheurs au moins, la plupart du temps à fumer leur pipe en discutant, et le père Viau était là aussi, pas loin du comptoir, toujours à la même place et toujours devant un café arrosé. »

Ainsi, imprégné de l’atmosphère particulière du petit port de pêche, Georges Simenon peut laisser libre cours à son imagination pour créer des personnages crédibles.

 

 Vers 1958 : "Le St Tropez normand", Françoise Sagan (1935-2004)

Lassée de St Tropez "infréquentable l'été", Françoise Sagan se réfugie sur la côte normande où elle acquiert le domaine du Breuil à quelques kilomètres de Honfleur, son havre pour se ressourcer à sa manière : "Je m’apprêtais à passer le mois de juillet dans des bains de mer, quand je découvris deux états de fait concomitants : à savoir que la mer était toujours au diable, mais, en revanche, le Casino de Deauville toujours ouvert. Mes journées ensoleillées furent remplacées par des nuits blanches."

Au cours de ses virées automobiles, elle découvre Port-en-Bessin et est séduite par le calme de ce petit port qu'elle décrit comme "le St Tropez normand" .


2016 : « Les plus beaux pieds d’Hortense », François-Marie Pailler

2022 : « Honte à Langoz’vraz », François-Marie Pailler


 

En 2016 François-Marie Pailler publie, aux Éditions Baudelaire, un nouveau roman intitulé "Les plus beaux pieds d'Hortense" dont l'héroïne, Hortense, est originaire de Port-en-Bessin.

Interrogé sur ce choix, l'auteur, nord-finistérien d'origine, en explique ainsi les raisons :"Lors de nos déplacements touristiques en Normandie, Port-en-Bessin avait retenu toute mon attention et j'avais été très intéressé de voir fonctionner cette écluse qui permet aux marins de quitter le chenal où ils viennent se mettre à l'abri. Toujours est-il que Port-en-Bessin lorsque je l'ai découvert m'a rappelé La Chaume, port de pêche en face des Sables d'Olonne et que j'ai imaginé qu'Hortense pouvait en être originaire."

En 2022 François-Marie Pailler publie le second roman d’une saga qui se déroule à Langoz’vraz dont l’héroïne, Louise, en voyage de noces, entraîne François à la recherche de ses origines à Port en Bessin. Elle aime bien ce lieu où elle est venue deux ou trois fois, à l'invitation d'Hortense qu'elle a connue pendant ses études à Caen. Installés dans la crêperie sur le port, les deux jeunes mariés sont les témoins d'une sortie de bateau et du fonctionnement de l'écluse.

 

2022 : « La Vierge des Feux », Mariella Righini.

Mariella Righini est journaliste et écrivaine. Après un passage à L’Express, elle devient une des signatures du Nouvel Observateur dont elle sera la rédactrice en chef adjointe jusqu’au changement de nom du journal. Elle a aussi écrit une dizaine de romans. C’est une des figures littéraires de Port-en-Bessin où elle possède une maison depuis plusieurs années.

L’intrigue de son nouveau livre se déroule à Bonport. De la « route des Feux » aux cafés de Bonport, de la procession à la Vierge à la Fête de la coquille, du calva à la teurgoule, des expressions portaises à la débarque du poisson, de Signac à Carné, du trou numéro 6 du golf qui surplombe la mer au blockhaus en-dessous, nul ne peut ignorer, en lisant le livre, que Bonport n’est autre que Port-en-Bessin où l’on peut suivre sans se perdre les personnages du roman.

 

Gageons que cette histoire n’est pas terminée et que bien d’autres écrivains choisiront aussi pour cadre Port-en-Bessin.

                                                                                                                                                                                 Any Allard

 

Sources :

Olivier Got, La Normandie de Zola : réalité et mythologie par, in le paysage normand dans la littérature et dans l’art, colloque d’Évreux 1978.

Gérard Pouchain « Promenades en Normandie avec Émile Zola », Éditions Charles Corlet, 1994.

France-États-Unis : revue mensuelle du comité France-Amérique.

Any Allard, Port en Bessin Insolite, Éditions Charles Corlet.

 

 

 

 



[1] L’hôtel de l’Europe, endommagé au moment du débarquement de 1944 est devenu la Pizzeria des pêcheurs.

[2] Simenon situe l’action au Café du grand Quai qu’il rebaptise Café de la Marine.


mercredi 25 janvier 2023

PORT-en-BESSIN : un décor de roman

 

Quand on pense à Port-en-Bessin vu par les artistes, ce sont les peintres qui viennent aussitôt à l’esprit. Rien de plus logique, l’art graphique précède l’écriture, l’interprétation de l’image peut être directe et ne demande pas de transposition. Pourtant les écrivains aussi se sont intéressés et s’intéressent encore à Port et leur description très réaliste nous entraine autant que les images dans l’univers que nous connaissons. 

 


1828 : « Tableaux d’une vie privée », Honoré de Balzac (1799 – 1850)

 

 C'est sur cette plage où le port n'est pas encore construit qu'Honoré de Balzac s'est promené lors de son séjour à Bayeux en 1822. 

 

Théodore Gudin, 1827  

Honoré a alors 23 ans. Il s’ennuie de sa sœur Laure et part la rejoindre à Bayeux où elle vient de s’installer avec son époux Eugène Surville, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, envoyé en mission dans le Bessin.

À Bayeux, où il séjourne 3 mois, le jeune Balzac écrit plusieurs nouvelles sous le pseudonyme d’Horace de Saint Aubin. Il en profite aussi pour étudier le « petit monde » de Bayeux, ce monde de la province qui sera l’univers de ses romans.

 

La mer est toute proche et Balzac n’a pas manqué d’aller jusqu’à Port, puisque dans la première scène de la pièce de théâtre « Tableaux d’une vie privée » paru en 1828, il fait dire à Fanchette Lenoir s’adressant à Nathalie : « Oh Mademoiselle, taisez-vous, votre voix me trouble, baissez vos yeux, je vous en prie, ils me semblent lire dans l’avenir. Oui quand je vous ai vue, vous étiez comme la mer quand je l’ai admirée à Port-en-Bessin, unie comme une glace, et vous m’avez, comme elle, caché vos terribles orages ».

Peut-être accompagnait-il quelques fois son beau-frère sur le terrain puisqu’Eugène Surville travaille avec « le bon Mr Pattu », ingénieur d’arrondissement chargé du rapport sur le projet de canal des Fosses du Soucy à Port-en-Bessin. Les promenades sur la plage et le contact direct avec la mer l’ont marqué puisque dans une seconde version de l’ouvrage il reprend « quand je vous ai vue vous étiez comme la mer à Port-en-Bessin ».

 

Plus tard il décrit la « bonne société » bayeusaine au tout début de La Femme Abandonnée, nouvelle parue en 1832. Ce qu’il y écrit s’inspire directement de sa propre expérience : « En 1822, au commencement du printemps, les médecins de Paris envoyèrent en Basse-Normandie un jeune homme dont la convalescence exigeait un repos complet, une nourriture douce, un air froid et l’absence totale de sensations extrêmes. Les grasses campagnes du Bessin et l’existence pâle de la province parurent donc propices à son rétablissement. Il vint à Bayeux, jolie ville située à deux lieues de la mer, chez une de ses cousines. »

 

 

1854 : « Le Val de Commes », Gabriel Joret-Desclosières (1828 – 1913)

 

Quinze ans plus tard, en 1854, Gabriel Joret-Desclosières publie sous le nom de René Trungy, « Le Val de Commes » dont une partie de l’action se déroule à Port-en-Bessin. Avocat près la cour d’appel de Paris, Gabriel Joret-Desclosières est aussi conseiller général et maire de Longues. Érudit, il est l’auteur de nombreux ouvrages et présidera un temps la Société des Sciences, des Arts et des Belles Lettres de Bayeux. Son fils aîné, René (Louis Raoul) Joret-Desclosières (1857-1912) sera directeur des éditions Hachette, son épouse, Rose Templier étant la petite-fille de Louis Hachette, le fondateur de l'entreprise.

 

Le roman permet de connaître Port au milieu du XIXème siècle, au moment du développement des stations balnéaires. En effet, à cette époque, avant la construction du port, Port-en-Bessin est réputé pour ses bains de mer comme d’autres villages de la côte normande et l’hôtel de l’Étoile du Nord[1], face à la plage, s’est fait une spécialité des bains de mer en baignoire.

 

Gravure d'Adolphe Maugendre

 

En voici quelques extraits concernant Port :

 « … Cependant on commençait à distinguer le village de Port-en-Bessin, dont les maisons éclairées scintillaient au fond du vallon formé en cet endroit par une dépression de la côte.

- On m'a indiqué L’Étoile du Nord, cette auberge est-elle loin dans le village ?

- L'Étoile du Nord n'est pas une auberge, repartit le douanier avec un accent de nationalité blessée, c'est un bel hôtel, les chambres sont tapissées de papier ; l'hôtel est un peu au-dessous de la poudrière, le chemin que nous suivons passe au pied.

- Des familles de Caen et de Bayeux y passent la saison des bains ; il y vient même du monde de Paris.

« L'honnête douanier n'avait pas exagéré, l'hôtel de L’Etoile du Nord n'était pas une auberge.  Mr de Ménars se fit servir un souper confortable, qu'il arrosa d'une bouteille de Bordeaux. Ses forces réparées, le voyageur fut conduit dans une chambre fraîchement décorée, éclairée par deux fenêtres, donnant l'une sur la mer, l'autre sur la riche vallée de Comme…Un bruit de voix, qui s'élevait de la plage, arracha Mr de Ménars à ses souvenirs et attira ses regards vers le rivage. Des femmes et de jeunes mousses, armés de falots, s'agitaient au pied du flot, poussant des cris vers la haute mer, en élevant leurs lanternes comme s'ils eussent voulu se faire reconnaître. A ces cris, des voix mâles répondaient, paraissant sortir des vagues.

Mr de Ménars, lorsque ses yeux se furent habitués à l'obscurité, distingua, à une quarantaine de brasses du rivage, une flottille de quinze à vingt bateaux de pêche, les voiles carguées et sur leurs ancres ; des barques montées par un seul homme, conduisant à la godille, se détachaient des bateaux et s'avançaient rapidement vers le rivage ; le matelot manœuvrait pour aborder au point que lui désignaient les cris et le falot indicateur. Des corbeilles, remplies de poisson, furent tirées des barques, et, à peine la pêche eut-elle été étalée sur le rivage, que des poissonniers venus de la ville, et qui attendaient dans les cabarets l'arrivée de la marée, firent invasion sur la plage. Ce fut alors un spectacle plein d'animation et des plus originaux, que de voir ce mouvement de matelots, de femmes, d'enfants éclairés par la lueur rougeâtre des lanternes à vitre de corne ; tout cela, dominé par les cris et les jurons des poissonniers, se disputant chaleureusement aux enchères des lots de poisson, formait un tableau plein de contraste avec le calme de la mer et la silencieuse attitude de la flottille se balançant, gracieusement sur ses ancres… »

 

 

1881 : « Bouvard et Pécuchet », Gustave Flaubert (1821-1880).

 

Une trentaine d’années plus tard, Flaubert, va faire des recherches géologiques entre Port-en-Bessin et Ste-Honorine-des-Pertes pour coller à la réalité de ce qui sera son dernier roman, « Bouvard et Pécuchet ». Il va ainsi voyager pour trouver le lieu de l'action, et notamment en Basse-Normandie à l'automne 1877, où il finira par installer ses héros entre Caen et Falaise, à Chavignolles.

Au cours de ses voyages, Flaubert prend des notes très précises de ce qu’il voit, dans des Carnets : le Carnet 11 concerne son périple en Basse Normandie qui le conduit le mardi 25 septembre à Bayeux, Vaucelles puis de Port-en-Bessin à Ste Honorine des Pertes pour étudier la falaise des Hachettes.

Voici ce qu’il en retient :

« Falaise des Hachettes : Vallonnements d’herbes. Terre stratifiée grise, parfois noire comme du charbon de terre. Roches grises par strates. Petite grève de galets. Bancs de calcaire couverts de varech. La mer. Une porte comme la roche des Demoiselles à Étretat, mais en très petit. Filets d’eau douce tombant des rochers et qui clapotent pendant que la mer (murmure) <gronde>. C’est un duo. Dans les bancs de calcaire sur le sol, parmi les varechs, de longs sillons comme ceux que font les roues de voiture. De petits galets remplissent ces sillons.

Des flaques (d’eau) d’une couleur blanc de plomb, dans le varech qui est brun chocolat. Des bergeronnettes sautent sur la grève. Éponges, ammonites incrustées dans le calcaire. Cette grève s’appelle en partant de Port-en-Bessin, la grève des Grues, puis celle des Haches ou Hachettes. Et au loin, la pointe et raz de la Percée. »

 

 

Ces notes sont à la base d’une partie du chapitre III du roman :

« Pécuchet avoua que leurs enquêtes jusqu’alors n’avaient pas été fructueuses ; et cependant les environs de Falaise, comme tous les terrains jurassiques, devaient abonder en débris d’animaux.

— J’ai entendu dire, répliqua l’abbé Jeufroy, qu’autrefois on avait trouvé à Villers la mâchoire d’un éléphant.

Du reste, un de ses amis, M. Larsoneur, avocat, membre du barreau de Lisieux et archéologue, leur fournirait peut-être des renseignements ! Il avait fait une histoire de Port-en-Bessin, où était notée la découverte d’un crocodile…. L’homme de Villers qui avait déterré la dent de mastodonte s’appelait Louis Bloche ; les détails manquaient. Quant à son histoire, elle occupait un des volumes de l’Académie Lexovienne, et il ne prêtait point son exemplaire, dans la peur de dépareiller sa collection. Pour ce qui était de l’alligator, on l’avait découvert au mois de novembre 1825, sous la falaise des Hachettes, à Sainte-Honorine, près de Port-en-Bessin, arrondissement de Bayeux.

Le voyage des Hachettes fut résolu. Bouvard et Pécuchet prirent la diligence de Falaise pour Caen. Ensuite une carriole les transporta de Caen à Bayeux ; de Bayeux ils allèrent à pied jusqu’à Port-en-Bessin. »

                                                                                                                            Any Allard

(La suite de cet article, en juillet après sa publication dans le Pilote de Port-en-Bessin)


[1] L’hôtel de l’Étoile du Nord devient le préventorium lorsqu’il est racheté par la comtesse Pillet-Will. C’est le grand bâtiment blanc sur la gravure de Maugendre.

Sources :

 Article paru sur le site de La Manche libre.fr le 17/09/2012. Balzac à Bayeux.

Olivier Got, La Normandie de Zola : réalité et mythologie par, in le paysage normand dans la littérature et dans l’art, colloque d’Évreux 1978.

Gérard Pouchain « Promenades en Normandie avec Émile Zola », Éditions Charles Corlet, 1994.

Any Allard "Port-en-Bessin Insolite", Éditions Charles Corlet, février 2019

Membres